Comme promis dans mon article n°7 du 26 juillet dernier, voici un article sur le fils cadet de Gaston ALIBERT, et son histoire tragique qui m'a beaucoup touchée.
Camille Gabriel ALIBERT
Camille Alibert en 1935 |
Camille que j’ai bien connu était le fils cadet de Gaston ALIBERT. Il avait fait l’école des Mousses, et sa profession était marin. Il avait grimpé les échelons jusqu’à devenir commandant de marine marchande. Il passait régulièrement à Nangis entre deux voyages au long cours, rendre visite à sa cousine Janine, mais également à sa première femme Jacqueline, avec qui il avait eu une fille Annick ALIBERT, et dont il avait divorcé. Jacqueline qui habitait à Nangis également s’était remariée avec un M. Foucault, dont le fils était dans ma classe à l’école primaire. Il me disait qu’on était cousins, mais à l’époque je ne comprenais pas par quel lien. Camille s’était remarié en 1946 avec Lucie Julien, dite « Louloute », avec qui il a eu 2 enfants, Yann en 1948, et France en 1958. À cette époque, ils habitaient à Concarneau, dans le quartier du Cabellou.
Quand
il passait à Nangis, Camille avait toujours des histoires de voyages à
raconter, et je me souviens notamment d’une campagne d’étude et de
protection des baleines dans l’atlantique sud, qu’il avait effectuée en
tant que commandant de la Calypso, sachant que Cousteau n’assurait pas
lui-même cette fonction, contrairement à ce qu’on voit dans ses films. Il ne
s’entendait pas bien avec Cousteau, ni d’ailleurs avec sa femme Simone,
si bien qu’il n’a fait qu’une seule campagne sur la Calypso. Je me
souviens être allé le voir au port de Monaco où était mouillée la
Calypso, alors que j’étais en vacances dans le midi avec la tante Marie,
ma marraine, et son mari l’oncle Pierre Louët, un Breton de Quimper. Je
devais avoir autour de 8 ans à cette époque, si j’en juge d’après les
photos qui me restent de cette visite.
Camille est une personne que j'admirais beaucoup et dont les récits de voyage me faisaient rêver. Il fut en partie à l'origine de ma passion pour la plongée sous-marine. Pour ceux que ça intéresse, voir ma chaîne YouTube avec toutes mes vidéos de plongée.
Camille à la barre de la Calypso avec Cousteau |
Quand il a pris sa retraite de la marine marchande, Camille avait acheté un ancien bateau de pêche de 14 mètres gréé en ketch, qu’il avait baptisé Antarès, et qu’il avait échoué dans l’anse du Cabellou à Concarneau pour le remettre en état et le transformer en voilier de plaisance. Son projet était de faire un tour du monde en passant par les Grands Lacs américains, puis par le canal qui rejoint le Mississippi et le golfe du Mexique, et ensuite de gagner l’océan Pacifique par le canal de Panama.
En 1977, alors que je finissais mes études d’ingénieur, il m’avait proposé de faire partie de cette aventure comme équipier. J’ai dû refuser, car après avoir obtenu mon diplôme, je devais encore faire mon service militaire, mon sursis étant terminé. Il souhaitait partir en septembre, pour la traversée de l’Atlantique, afin de passer les mois d’hiver sur les lacs et fleuves des États-Unis. Cette aventure m’aurait bien tenté, et j’ai regretté de ne pouvoir y participer. Camille est finalement parti avec sa femme qu’il appelait « Sun », sa fille France et le copain de sa fille Didier.
Rétrospectivement, je pense que j’ai eu finalement de la chance, car cette aventure s’est terminée deux ans après par un naufrage dramatique au milieu de l’Atlantique, alors qu’ils rentraient à Concarneau.
En effet, ayant eu des avaries, ils avaient dû engager des dépenses imprévues, et faute d’argent, avaient décidé de rentrer à Concarneau alors qu’ils avaient atteint le golfe du Mexique. Sur la route du retour, ils ont malheureusement essuyé au milieu de l’Atlantique un cyclone nommé Gloria, et les deux femmes qui étaient parties chercher des vivres pendant que les deux hommes préparaient le radeau de sauvetage ont disparu en mer le 14 septembre 1979. Les deux hommes ont été récupérés par un cargo polonais. C'est ce que raconte Camille dans une lettre qu'il a écrite à ma mère, ainsi qu'un article de Ouest-France paru au mois de septembre 1979.
Article paru dans Ouest-France en Septembre 1979 |
Lettre de Camille Alibert à sa cousine Janine Alibert épouse Arnoul
Le 20 septembre 1979, en mer, à bord du cargo polonais Mateyko, en route vers Panama
C'est avec une tristesse indescriptible que je t'écris. Le 14, nous nous trouvions à 350 milles dans l'ouest de l'île Florès (Açores), lorsque le cyclone "Gloria" est passé sur nous. Il s'était formé, on l'a su après, car il n'était pas encore signalé, à 480 milles derrière nous, et nous a atteints tout de suite. Une grande superficie, puisqu’à 200 milles de chaque côté de l'œil du cyclone, il y avait des vents de 200 km/h, et il avançait de 50 milles à l'heure.
Nous étions justes devant, et il nous a atteints alors que nous nous trouvions à 50 milles du centre, dans le nord. Nous l'avons vu arriver la veille au soir et avons pris aussitôt une route de fuite. Nous avons mis l'artimon au bas-ris, et rentré le foc. À 3h00 du matin, nous avons rentré toutes les voiles et continué la route sur un tourmentin (*) de 4 m² qui nous tirait comme une locomotive ! Pas croyable! Nous avions la lame par l'arrière et nous surfions littéralement sur les lames, sans embarquer une goutte d'eau. La mer était monstrueuse, des lames couvertes d'écume de 15 à 20 mètres de haut, abruptes comme des murs !
Vers 8h00, il s'est mis à pleuvoir des cataractes d'eau, qui tombaient avec une force inouïe, et un bruit épouvantable. Sun et moi nous étions à la barre. Et cette pluie a amené des vents fous qui tournaient dans tous les sens. J'ai voulu mettre le moteur en route, mais il n'est pas parti, la vache ! Pensant que les accus étaient un peu bas, j'ai lancé le groupe électrogène et ordinairement, en 10 minutes, je peux démarrer le gros, mais comme ça ne partait toujours pas, je suis descendu dans la machine voir le démarreur : celui-ci était dans l'eau...
Vers 9h00, une lame plus forte que les autres nous a couchés, car ne gouvernant plus, on était tombé en travers. La passerelle a été remplie d'eau en une seconde. Sun en est sortie en nageant. Quant à moi j'ai été bloqué par quelque chose, je ne sais ni quoi ni comment, et il m'a fallu faire des efforts désespérés pour m'en sortir tout contusionné avec 2 côtes cassées. Ensuite, ça a été comme un film de cauchemar très rapide : Profitant d'une petite accalmie relative, France et Didier mettent le zodiac à l'eau, et je vais les aider. Didier embarque dans le zodiac, gonflé et amarré le long du bord, à quelques mètres. France se dirige vers l'arrière pour aider sa mère agrippée à une planche à nous rejoindre. J'embarque dans le zodiac pour nous rapprocher d'elles, mais la ligne qui retenait le zodiac casse, sous l'effet d'une autre lame. Le zodiac est parti sur l'eau comme un ballon de baudruche poussé par ce vent à 200 km/h. Et nous n'avons plus rien revu, ni Sun, ni France, ni le bateau !
Il tombait encore des cataractes et le vent était furieux. Si tu as déjà vu à la TV les cyclones de la Martinique, ou de la Guadeloupe par exemple, tu en auras une petite idée. Sur notre zodiac, nous avons été roulés 4 fois de suite, et 4 fois nous l'avons redressé, et sommes remontés dessus, et avec mes gnons et mes côtes cassées, ce n'était pas de la tarte !
Au bout de 3 jours, nous avons vu enfin un cargo qui se dirigeait vers nous. Nous avons lancé nos fusées dans la nuit, car il était 22h00, et il nous a récupérés. À bord, il y avait un médecin qui m'a très bien soigné, et tout l'équipage était très gentil. Ce sont des Polonais qui font route vers le Pacifique sur un très gros cargo de 10 000 tonnes qui marche à 15 nœuds. Il fait escale à Panama où je pense me faire rapatrier par Europe Assistance, dont je fais partie. Je ne sais pas où je pourrai poster cette lettre, tu verras bien.
J'espère que tu vas aussi bien que possible, passe ces nouvelles à Nangis, à Machavoine et Cie.
Je t'embrasse bien affectueusement.
Camille
PS : Réponds-moi à Concarneau.
Je suis très ennuyé, car l'ai perdu mon carnet d'adresses, outillages, cartes, vêtements, collections, cadeaux, matériel de navigation, etc., etc. Je suis assuré, mais comme d'habitude pas assez. Mais rien ne pourra remplacer Sun, et France qui était devenue un vrai petit matelot, sachant tout faire sur le bateau. Que Dieu les accueille dans son paradis.
* Tourmentin : Une petite voile très solide, spéciale gros temps
Après cet épisode dramatique, je vous proposerai l'histoire de mon grand-père André ALIBERT, frère de Gaston.
A suivre...
Jean-Paul ARNOUL-ALIBERT
tu penses bien ! un article marin... j'adore !
RépondreSupprimerMême si l'histoire est tragique, Camille fût un beau narrateur ;=)
Merci Jean-Paul.