vendredi 14 février 2020

34 - Photos de famille - Le Studio ARNOUL à Nangis

Après l'histoire du Studio Photo ANDRÉ au Bourget racontée dans mon article n° 31, je vous propose ici la suite de l'article 33 avec l'histoire du Studio ARNOUL à Nangis, en Seine-et-Marne qui continue cette saga de photographes.


Histoire du Studio ARNOUL à Nangis

Racontée par Bernard ARNOUL, dont quelques extraits de ses mémoires ci-après.

Historique de notre parachutage à Nangis

C'est à la suite d’une annonce sur le journal le Photographe que nous sommes allés voir à Nangis en fin d'année 1955 après la naissance de Jacques. Le fond qui était à vendre était situé en haut de l'avenue Foch, au 41 près de la gare de Nangis.

Nous nous étions informés de l'origine de ce fond et du renom qu'avait le prédécesseur, monsieur Mignon. Le jeune qui lui succédait s'appelait Pierre Gaillard ; son père avait un poste important dans les charbonnages du nord, en somme c'était un fils à papa et il était souvent absent. Il faisait disait-il des reportages dans les mines, mais que cela, il ne le céderait pas.

L'inconvénient, à première vue était l'éloignement du centre-ville. Avant de nous décider, je lui ai proposé de passer un mois non rémunéré dans son studio afin d'acheter en connaissance de cause. Après ce séjour, nous nous sommes décidés, car je savais ce qu'il fallait faire pour remonter le fond. Nous l'avons acheté avec tout le matériel, et le vendeur nous faisait un certain temps de crédit. 

Pour moi, ça a été un vrai déchirement de quitter mon métier que je connaissais à fond ; c'est mon amour pour Janine qui m'a fait faire le pas, car je ne la voyais pas très heureuse dans les conditions où nous étions à Bures. J'ai pratiquement tout laissé à mes frères, à part une petite Juva quatre et quelques billets. Si mes beaux parents ne m'avaient pas aidé, cela n'aurait pas été possible. Ce qu'ils auraient préféré, c'était que je prenne la suite à Loisy en Brie, mais, je n'ai pas voulu, car nous n'aurions pas été entre nous.

Carte professionnelle de Photographe

Nous étions installés dans une maison particulière : à gauche du couloir en entrant nous avions le bureau et le magasin, en face, la porte du studio qui manquait de profondeur et derrière une pièce de travail. Sans tarder, je fis une ouverture dans la cloison afin de ménager du recul pour l'appareil de prise de vues. Depuis la pièce de travail, il y avait la porte du labo et à côté la montée d’escalier.

Nous avons pas mal travaillé, et en faisant nos tirages nous-mêmes, nous avions une bonne marge bénéficiaire : rapidement, nous avions plus de moyens qu'à Bures. Il y avait tout de même le loyer et des fournisseurs à payer. Nous faisions pratiquement tous les mariages de la région avec beaucoup de groupes, notre record a été de 5 mariages le même jour.

Au point de vue photos d'amateurs, c'était le mardi que nous avions le plus de pellicules à développer, jusqu'à 45 et à en faire le tirage. C'était l'époque du noir et blanc, les photos se faisaient par contact sur des feuilles de papier plus grandes ce qui laissait une marge blanche, dont nous faisions le tour déchiqueté, ce qui faisait une belle présentation.

Au moment des campagnes de la sucrerie, le petit tacot fonctionnait pour le transport des betteraves. Nous étions près de la gare et pas bien loin de la sucrerie : par vent de nord-ouest, nous avions une odeur de betteraves cuites et au milieu de la campagne, le stock de pulpe fermenté nous envoyait une odeur pestilentielle.

Nous avions une épicerie en face de chez nous, la seule boutique de l'avenue. À côté le docteur Gabarrou, qui mettait bien les enfants à l'aise, mais n'était pas terrible pour les diagnostics.

Une vieille femme de ménage venait plusieurs fois par semaine, et comme elle avait servi chez des gros fermiers de la région, bourgeois s'il en est, elle savait ce qu'il fallait faire. Elle vidait les cendres et préparait le poêle prêt à être allumé.

Photo de l'auteur en 1956, avec aperçu de la vitrine du 41 av. Foch en haut à gauche

Notre voisine madame Vilard était la mère de la propriétaire, elle était bien gentille, nous partagions le jardin, elle en avait la partie gauche et nous la droite. Pour les enfants, nous avons toujours pu nous faire aider par des filles sorties de l'école, une Ghislaine qui les faisait promener ou les emmenait chez sa mère.

Ces trois premières années furent pour nous les meilleures, nous étions chez nous et le travail marchait bien.

La famille ARNOUL à Nangis en 1956

Création du Sudio ARNOUL au 12 rue du Général Leclerc


Mon beau-père avait acheté en 1958 une maison au 12 rue du GénéralLeclerc, mais dans un état de vétusté tel qu'elle avait été trois ans à l'affiche malgré sa position centrale à Nangis.

Nous avions l'idée de transférer le fonds au 12 rue Leclerc pour être au centre-ville. Nous avons marqué tout de suite l'emplacement, en faisant une petite vitrine à la place d'une fenêtre et en accrochant une boîte à pellicules sur la façade.

Mon beau-père fit faire les transformations de la façade en remplaçant les fenêtres par deux vitrines. Nous devenions ses locataires. Mais, quel travail restait à faire à l’intérieur !



Le 12 rue Leclerc avant travaux en 1958
Sur la photo ci-dessus avant les travaux, on voit quelques photos exposées derrière la fenêtre de gauche, ainsi qu'une boîte aux lettres pour le dépôt des pellicules à faire développer.


Travaux de réfection de la façade
Le nouveau Studio ARNOUL au 12 rue Leclerc à Nangis

Les sols de ce qui devait être le magasin et le studio étaient en parquet tout usé. Nous avons posé un couvre-sol assez résistant. Le mobilier restait ancien : un comptoir de marchand de tissus au centre et derrière un meuble à tiroirs, surmonté de deux vitrines, que nous avions acheté à un bijoutier qui se modernisait.

Dans l’arrière-boutique, nous avions installé deux laboratoires, un pour le développement des négatifs et l'autre pour le tirage sur papier. Le sol du dégagement entre les deux labos était dans un état lamentable et il y avait en plus une grande trappe qui communiquait avec la cave. Nous avons tout de même démarré comme cela. Pour le chauffage, un grand poêle Godin était disposé à cheval sur une partie de la trappe, il brûlait de tout, et en particulier le papier des pellicules que j'avais eu à développer.

Nous avions une petite bonne à demeure que nous logions dans la petite chambre du deuxième étage et qui s'occupait des enfants. Mon beau père ne voulait pas que nous mettions un appareil de chauffage électrique dans cette petite pièce ; alors j'avais trouvé la solution de mettre un radiateur de chauffage central à eau chaude.

Pour cela j'avais fait faire un genre de bouilleur constitué d’un tube assez gros avec une entrée et une sortie et que j'avais installé à l'intérieur du grand poêle Godin de l'arrière-boutique. Avec des tubes de cuivre, j'allais jusqu'au radiateur, avec un petit vase d'expansion disposé au-dessus de la porte du haut, ainsi une partie de la chaleur du poêle montait jusqu'en haut.

Vue du côté jardin et à droite l'aile des grands-parents

Travaux de reconstruction après l'incendie de 1963


C'est notre voisin d'en face monsieur Guilledoux qui est venu nous prévenir dans le magasin, que des tuiles sautaient sur le toit. J'étais en train de vendre un appareil photo à monsieur Lacoste qui était pompier bénévole.

Nous montâmes quatre à quatre au grenier pour constater qu'il était en flammes. Il donna l’alarme, et fit sonner la sirène pour appeler les pompiers. Pendant ce temps, avec Jean-Paul qui était accouru, je vidai un extincteur sur le foyer. Les flammes s’éteignirent presque totalement, mais l’extincteur vide, elles reprirent aussitôt de plus belle.

Les pompiers de Nangis arrivèrent sur place, dressèrent la grande échelle sur la façade, et commencèrent à arroser abondamment la toiture pour maîtriser le feu. 

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Dans la salle à manger au-dessous, l'eau bouillante sortait par des trous dans le plafond, faits par les pompiers pour éviter un effondrement sous le poids de l’eau et des tuiles ; des bénévoles avec des seaux et des cuvettes recueillaient l'eau pour éviter l'inondation du magasin. On voyait de l’eau couler dans les vitrines sur le matériel exposé.

Dans un mouvement de solidarité, les gens entrèrent dans le magasin et se mirent en devoir de sauver le matériel qui était dans le magasin et le studio ; la BNP d’en face ouvrit ses portes en grand et tout le matériel y fut transféré, mais dans leur précipitation les gens arrachèrent les choses ce qui augmenta les dégâts.

Les voisins prirent en charge les enfants : la bonneterie Savault nous prêta une chambre, l'épicerie Delafond également. Pendant l’incendie, les enfants furent recueillis chez madame Guilledoux, au premier en face. C'était un poste d'observation : Bernadette nous raconta par la suite que les carreaux étaient brûlants au moment de l’incendie.

Les pompiers partis, un travail énorme de déblaiement nous attendait : lancer dans la cour les poutres calcinées et les morceaux de tuiles. Nous avons eu l'aide des Vignier, avec leurs engins et tombereaux, ils nous évacuèrent les tuiles ; je gardais les poutres avec l'idée d'en faire du bois de chauffage

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C'était une année orageuse et ce jour du 6 juin fut particulièrement chaud.  La cause présumée de l’incendie était une tuile de verre orientée au sud-ouest qui devait concentrer les rayons sur des archives de photos d'identité en acétate. Ces négatifs se trouvaient sortis de l’armoire du grenier, à la suite de la recherche du cliché d'identité d'une personne décédée dont la famille voulait refaire un agrandissement.
D'après "Souvenirs de Bernard Arnoul"

Le nitrate de cellulose utilisé pour les films photographiques était un matériau assez instable, et qui dans certaines conditions pouvait s'enflammer spontanément, comme c'est le cas dans le film "Cinéma Paradiso". Il fut remplacé par l'acétate de cellulose moins dangereux, mais encore très inflammable tout de même. (JPA)







La totalité de la toiture fut détruite dans l'incendie, que les pompiers réussirent à limiter à ce seul bâtiment. Le sol du grenier qui était en tommettes posées sur du mortier a tenu à l'incendie qui ne s'est pas propagé dans les niveaux inférieurs. Par contre les quantités d'eau déversées par les lances à incendie causèrent des dommages considérables à toute la maison. Pour que le sol du grenier ne s'effondre pas sou le poids de l'eau, les pompiers firent des trous dans le sol avec une tarière. Depuis la rue, on voyait de l'eau couler derrière les vitrines du magasin.


Quelques images des dégâts de l'incendie


Les assureurs dépêchèrent leurs experts sur place pour évaluer le sinistre. Le fonds de commerce était assuré par mon père, mais le bâtiment par mon grand-père, ce qui ne simplifia pas la situation.
Constatation des dégâts par l'auteur et son frère.
En bas à droite, le trou dans le plafond de la salle à manger.


Une grande bâche en polyane fut étendue sur le sol du grenier, en attendant les travaux de reconstruction.

Travaux de reconstruction par l'équipe Péquenard

Contre l'avis de son beau-père, Bernard négocia avec le charpentier la construction sur la toiture de 2 chiens assis, qui rendaient l'espace des combles aménageables en vue d'y loger sa nombreuse famille. À l'époque, nous étions déjà 5 enfants, et il n'y avait que 2 chambres dans l'appartement au-dessus de la boutique.

Après l'incendie, ma belle mère décida mon beau père à nous vendre la partie que nous occupions, alors qu'ils s'étaient installés dans l'aile qui donnait sur le jardin après avoir vendu leur propriété de Loisy-en-Brie. Nous avons pu enfin être libres d'aménager les locaux à notre idée.

Pendant les grèves de mai 1968, il y avait des coupures d'électricité, et le Studio ne pouvait pas fonctionner normalement. Bernard profita de ce moment pour entreprendre l'aménagement de ce nouvel espace. Un plafond en placoplâtre fut d'abord réalisé sur toute la surface, puis des cloisons afin de créer 4 chambres, et 2 salles de bain dans la partie du fond dont le sol avait été cimenté. C'est à cette occasion que j'ai appris à poser du placoplâtre, et à maroufler les joints avec de l'enduit et du papier. Je n'ai pu profiter de ma nouvelle chambre que lorsque les travaux furent terminés en 1970.

Vue des 2 fenêtres en toiture après reconstruction

La photo ci-dessous a été prise en 1965 alors que l'association des commerçants de Nangis avait organisé un concours de décoration de vitrines pour Noël.


Vitrine de Noël en 1965
Lorsqu'il a pris sa retraite en 1986, mon père a vendu son fonds de commerce à un jeune couple qu'il a encouragé à reprendre sa suite, aucun de ses enfants n'ayant manifesté la volonté de le faire.
Le couple s'est malheureusement séparé après quelques années, et revendit à son tour le fonds en 1997  à son employé nommé Laverrue* qui par son attitude méprisante et désagréable rendit la vie insupportable à mon père veuf qui s'était installé dans l'aile des grands-parents. Le successeur était propriétaire du fonds, mais locataire des locaux, et exigeait un tas de travaux, comme le remplacement de la chaudière, etc.  et faisait venir des huissiers pour constater des dégâts des eaux et autres désordres, le tout pour faire pression pour que nous lui vendions des locaux à bas prix.

La maison fut vendue par lots, alors que mon père s'était installé dans un appartement neuf de la rue des écoles que nous lui avons fait acheter sur plan pour l'isoler de la présence néfaste de son successeur.

Après pas mal de démêlées avec la justice et les avocats (voir le PS) pour nous défendre de cet individu, nous avons fini par trouver un accord en 2005 et le dernier lot lui fut vendu, à notre grand-soulagement.


Épilogue


Voici un article paru dans « La république de Seine-et-Marne » qui nous a bien fait plaisir pour une fois. Nous savions que Laverrue* avait souvent des mots et quelquefois plus avec le gérant du bar d’en face pour des histoires de stationnement dans le passage donnant sur la rue Leclerc, juste en face de la porte du garage du 12. En fait, ça a fini par dégénérer :

Nangis : Prison ferme pour l’incendiaire du bar

Mercredi, le tribunal correctionnel a condamné en son absence M. Laverrue*, 33 ans, à un an de prison ferme. Il avait provoqué l’incendie du bar « Le Kiwi », dans le centre de Nangis, dans la nuit du 19 au 20 novembre 2008.
L’incendiaire avait lancé des cocktails Molotov en direction des voitures du gérant, avec qui il était brouillé. L’incendie s’était propagé au bâtiment, comprenant des habitations.
Plus d’une centaine de pompiers avaient dû intervenir. Le préjudice a été estimé à 100 000 €. L’audience civile aura lieu en décembre prochain.

Il semble que du fait de cette condamnation, Laverrue* ait été dans l’impossibilité de gérer son affaire, et que les locaux aient été revendus pour y aménager un fast food dénommé « Crousti Midi » qui est toujours ouvert à ce jour.


Ainsi s'est terminée définitivement l'histoire du Studio ARNOUL à Nangis.

Jean-Paul ARNOUL

(*) Le nom a été modifié

PS : Je tiens à votre disposition sur demande par mail, le récit complet de cet épisode judiciaire que je ne peux évidemment pas publier en intégralité.

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