vendredi 27 décembre 2019

28 - Famille EMAILLE-LEOTARD - L'affaire LEOTARD-BERNINI

Dans mon article n° 4, je vous racontais que le trapéziste Jules LÉOTARD s'était marié à Dominica Sérafina BERNINI dite "Sylvia", et non pas avec Henriette GRUSON, la mère de son fils. Ce mariage a fait l'objet d'une action en annulation intentée par Jules et ses parents, afin d'éviter la mainmise sur sa fortune par son épouse italienne dont la vie était plutôt dissolue comme on le verra à la fin de cet article.

Jules Léotard et Sylvia Bernini

Jules Léotard le trapéziste

Si vous vous intéressez à l'histoire des Arts du Cirque, vous devez lire cet ouvrage de Pierre Lartigue, préfacé par Michelle Emaille-Léotard, épouse Pachany, cousine de Dominique ÉMAILLE, ma femme.

 

Préface 

À l'époque de Napoléon III, Jules Léotard avait conquis le public grâce à ses représentations intitulées "Les Merveilles Gymnastiques". À Paris et dans les capitales européennes, il reçut un triomphe. Son sens de la mise en scène avait fait de lui une star médiatisée à outrance, mais au détriment de sa réelle personnalité et de la vérité.
Au cours de mes recherches pour connaître la véritable histoire de la vie extraordinaire de mon ancêtre, j'ai découvert La Course aux Trapèzes de Pierre Lartigue, la seule biographie concernant l'acrobate. À la lecture de celle-ci, au rythme balancé des trapèzes, je me suis laissé emporter avec une forte émotion, par le récit des succès et de la gloire du gymnaste dont j'admire la grâce, la force et la témérité.
Depuis de nombreuses années, Pierre Lartigue contribue à maintenir la mémoire de l’artiste. À l'occasion du 150e anniversaire de la création du trapèze volant par le Toulousain Jules Léotard, il souhaitait présenter une nouvelle édition de son ouvrage et je suis fière de le préfacer. Il ouvre de nouvelles pistes, non pas de cirque, mais de recherches sur la vie du célèbre trapéziste surnommé l'homme volant qui, plus habile qu’un oiseau, avait su voler sans ailes et élever les exercices de saltimbanque jusqu'à l'art. Sa renommée est plus longue que sa courte vie et comme l'a si bien écrit Jean Richepin : « Jules Léotard mérite qu'on se souvienne de lui. »
Michèle Pachany-Léotard


Rencontre de Jules LÉOTARD et Sylvia BERNINI 

Voici quelques sources qui relatent leur rencontre :

Extrait du livre de  Mathieu Arnal « Ces Toulousains qui ont fait l’Histoire ».

Page 163 de ce livre, il est écrit :
« Lors d’un énième séjour londonien, le trapéziste, qui jusque-là ne prêtait guère attention aux femmes, préférant se concentrer sur sa carrière, tombe amoureux de Sylvia Bernini, une actrice dramatique italienne. Et l’épouse sans le consentement de ses parents en juillet 1862. Après quelques mois de « dolce vita », il reprend le chemin des tournées ».

Bulletin municipal de la ville de Toulouse de février 1936 :

« Malheureusement, ce séjour en Angleterre est marqué par la rencontre d’une femme, Dominique-Séraphine Bertini (sic), une artiste italienne qui restera pour lui la source de durables ennuis. Mais passons… ».
 

Extrait du livre de Pierre Lartigue qui donne plus de détails :

Pour Léotard, le séjour de 1861-1862 en Angleterre sera surtout marqué par la rencontre fortuite chez le sculpteur italien Trentanove réalisant son buste, d'une actrice dramatique italienne, Doménica-Sérafina dite Sylvia Bernini née le 12 novembre 1835 à Lévane, ancien Grand-Duché de Toscane. Elle fait partie de la troupe d'Ernest Rossi en représentation à Londres.

La facilité de son caractère et la confiance juvénile de Jules ne résistent pas à la séduction de la signora d'un tempérament ardent. Le jeune homme est conquis par la belle comédienne si astucieuse qu'elle parvient à lui dissimuler bien des choses et entre autres, son amour effréné du luxe. Les parents Léotard ne tardent pas à apprendre que Sylvia est déjà mariée en Italie avec un architecte de Turin, M. Abelli Martinori et mère d'un garçon prénommé Dante, âgé de huit ans. Ils se considèrent comme déshonorés aux yeux de tous par cette relation et exigent le renvoi en Italie de sa maîtresse qui accepte moyennant une assez forte indemnité. La bonne harmonie enfin ramenée entre les Léotard et leur fils sera de courte durée... quelques mois plus tard, Sylvia éplorée réapparaissait à Londres, car son mari italien venait de mourir le 17 février 1862, désignant son fils seul héritier.

---ooOoo---

Elle était donc libre pour épouser Jules LÉOTARD en Juillet 1862. À la suite de ce mariage, Jules n'a pas seulement laissé des traces dans l’histoire du fait de ses exploits sportifs, mais aussi par ce procès retentissant qui a même laissé une jurisprudence.


Messages d'Alex Hérisson 

J'ai obtenu de nouvelles informations sur cette affaire par l'intermédiaire d'Alex Hérisson, que je remercie ici et que je laisse se présenter par les messages qu'il m'a adressés.

Toulouse, le 10 septembre 2019

Monsieur,

Je vous remercie pour votre message et pour m’avoir communiqué un article très intéressant de votre blog généalogique.

Sur internet, j’avais consulté le Bulletin Municipal de Toulouse de 1936 et les Mémoires de 1860 (avec la préface) de Jules Léotard.

Grâce à la fiche sur Jules Léotard de votre arbre généalogique, j’ai pu prendre connaissance d’un extrait du livre que Pierre Lartigue (créateur du Cirque de Noël à Toulouse) a consacré à une biographie de Jules Léotard.

C’est en tant que Toulousain passionné par l’histoire et le patrimoine de sa ville que je m’intéresse à Jules Léotard dont j’avais déjà entendu parler (le créateur du trapèze volant).

Je suis adhérent de l’association « Les Toulousains de Toulouse » et j’ai vu que l’ouvrage de Pierre Lartigue peut être consulté à la bibliothèque de cette association.
Je viens de découvrir que le 17 septembre 2012, Mme Pachany-Léotard a donné à cette association, une conférence dont le sujet était « Jules Léotard, une destinée exceptionnelle ».
Je viens de découvrir aussi que la salle des ventes d’un commissaire-priseur située rue du Rempart Saint-Étienne à Toulouse (et qui a été un temps une synagogue) avait été un des deux gymnases de Jean Léotard.
Dominica Sérafina Bernini avait vraiment de la suite dans les idées. Si elle a obtenu un jugement de séparation de corps prononcé en décembre 1864 par le tribunal civil de Toulouse, ce jugement est peut-être consultable aux Archives départementales de la Haute-Garonne. Le mariage n’a pas dû être annulé puisqu’elle a revendiqué et obtenu l’héritage de son mari, décédé en 1870.

Bien cordialement.

Toulouse, le 18 septembre 2019

Monsieur,

J’ai le plaisir de vous adresser, ci-joint, les documents suivants:

.  le Figaro du 24 novembre 1864 : Mme Léotard se serait jetée à l’eau en Prusse…

. le Figaro du 18 septembre 1881 : le fils naturel de Jules Léotard et son épouse sont possesseurs de plus de 100 000 francs de rente. Jean Léotard a emmené son petit-fils et sa femme « dans un magnifique château, aux environs de Toulouse » (vraisemblablement le domaine d’Embayonne au Vernet, en Ariège) ;

. le jugement en séparation de corps du 6 février 1865. Je suis allé aux Archives départementales de la Haute-Garonne le consulter et vous en trouverez, ci-joint, une photocopie. On y apprend entre autres que :

-    Silvia Bernini avait en Italie, un fils appelé Dantino (le petit Dante ?) et deux sœurs ;
-    Jules Léotard aurait contracté une maladie vénérienne avec Silvia trois mois avant leur mariage ;
-    Silvia aurait été infidèle ;
-    Jules Léotard et Dominica Sérafina Bernini se sont mariés sans contrat de mariage, sous le régime de la communauté légale qui a été déclarée dissoute  et partagée entre les époux. Silvia, séparée de corps et de biens, a obtenu la liquidation et le partage de la communauté dont elle était co-propriétaire ;
-    Jules (et non Jean) Léotard a acheté, semble-t-il,  le domaine d’Embayonne après le mariage.

Silvia Bernini a-t-elle complètement dépouillé son mari, ses beaux-parents et son beau-fils ?

En 1858, Sérafina (dite plus tard Silvia) Bernini, née vers 1837 à Sienne, Toscane (Italie), était fichée par la police comme « escroqueuse » et avait même un dossier à son nom (Cf généanet). Dans le jugement en séparation de corps, il est évoqué « un passé flétri » exhumé par Jules Léotard et ses parents.

Reconstituer une partie de la vie de Jules Léotard m’a passionné.

Bien cordialement.


Alex Hérisson
 

L'affaire LÉOTARD-BERNINI



Dossier de Presse

 
Les coupures de Presse trouvées sur les sites Rosalis (Bibliothèque numérique de Toulouse) et Gallica par une recherche sur les noms Léotard et Bernini, permettent de retracer l'histoire de ce procès qui a défrayé la chronique à cette époque à Toulouse, et dont on parlait encore dans la presse 60 ans après.


Le Figaro du 24 novembre 1864

À propos de biches…
Le bien-aimé de ces charmantes (?) bestioles, le gymnasiarque Jules Léotard, puisque c'est son nom et son titre, plaide en séparation contre sa femme — ou plutôt Mme Léotard demande à se séparer de son mari. Il paraît que Mme Léotard avait déjà tenté de se séparer en se jetant à l'eau, en Prusse... Diable !


Le journal de Toulouse du 26 novembre 1864

Un procès, dont les détails paraissent de nature à piquer la curiosité publique, va être plaidé prochainement devant le tribunal de première instance de Toulouse. Mme Silvia Bernini, épouse Léotard, artiste italienne, a introduit une action en séparation de corps et de biens contre son mari, le célèbre gymnasiarque.
M. et Mme Léotard se sont mariés en Angleterre au mois de juillet 1862. On dit, sans cependant pouvoir l'assurer, que le mari va demander la nullité de ce mariage.


Journal de Toulouse du 21 novembre 1865

Hier a été appelée, devant la première chambre de la Cour impériale, la cause de M. Léotard contre la dame Silvia Bernini, son épouse. Me Lachaud, du barreau de Paris, qui devait soutenir l'appel de M. Léotard contre le jugement de première instance qui avait déclaré valable le mariage contracté en Angleterre, suivant la  loi anglaise, a fait demander un renvoi à quinzaine pour cause de maladie. Sur l'insistance de Me Tournayre, avocat de Léotard, la  Cour a renvoyé péremptoirement à huitaine pour les plaidoiries,


Le journal de Toulouse du 28 novembre 1865

Nous avons, à l'occasion des débats du procès Léotard en première instance, raconté les faits qui ont servi de base à une action en séparation de corps dirigée par Madame Léotard contre son mari, et a une demande en nullité du mariage contracté à Londres formée pour ce dernier, et par ses père et mère.
Les premiers juges ont accueilli la demande de Madame Léotard et rejeté l'exception de nullité de mariage invoquée par le mari et ses ascendants. La première Chambre de la Cour, présidée M. le président Caze, est aujourd'hui saisie de la connaissance de cette affaire.
M. le procureur général Léo Dupré occupe le siège du ministère public.
Me Lachaud, du barreau de Paris, est chargé des intérêts de M. et Mme Léotard, le père et la mère du mari qui lui-même est défendu par Me Albert.
Me Tournayre doit demander, au nom de Mme Silvia Bernini, épouse Léotard, la confirmation du jugement.


Journal de Toulouse du 6 décembre 1865

Sommaire :
•    Rentrée solennelle de la cour…
•    Procès Léotard en nullité de mariage.
•    Etc.


Journal de Toulouse du 21 novembre 1866

Le Droit annonce que la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de M. Léotard contre l’Arrêt de la Cour Impériale de Toulouse en date du 19 décembre 1865


Journal de Toulouse du 23 novembre 1866

Vous savez que la Cour de cassation a rejeté hier le pourvoi formé par le gymnaste Léotard et par sa famille contre l'arrêt de la Cour de Toulouse du 19 décembre 1865 qui avait maintenu la validité de son mariage, il résulte de la jurisprudence suivie par la Cour de cassation que le défaut de publication en France, en cas de mariage célébré à l'étranger par un Français, n'entraîne pas nécessairement la nullité du mariage, dès qu'il est constaté que les époux n'ont, pas omis ces publications dans une intention frauduleuse, et bien que le Français n'eut pas encore l'âge nécessaire pour contracter mariage sans le consentement de ses parents.


Le Figaro du 18 août 1881

Où mènent les sauts périlleux !
Un jeune habitant de Saméon, canton d'Orchies, vient de faire un héritage aussi important que complètement inattendu, au dire des journaux du Nord.
Le célèbre gymnasiarque Léotard, mort récemment, avait un fils naturel, le sieur X… âgé de dix-neuf ans, domicilié et marié à Orchies. Sur son lit de mort, Léotard fit promettre à son père de transmettre à ce fils toute sa fortune, qu'on évalue à plusieurs millions.
 Le père de Léotard tint parole. Ces jours derniers, il vint annoncer la bonne nouvelle à son petit-fils et l'emmena avec sa femme dans château, aux environs de Toulouse, où il leur annonça qu'ils étaient chez eux.
Les époux X... sont aujourd'hui possesseurs de plus de 100,000 francs de rente.


Le fils naturel dont il est question ici est Gaston Émile JulesGRUSON, puis EMAILLE après adoption par son beau-père, et enfin EMAILLE-LEOTARD après son adoption par ses grands-parents (voir ici mon article n° 4 pour les détails de cette affaire). Il était géologue, et venait d'épouser à Orchies une rentière nommée Catherine ROGIER. Ils eurent 4 enfants, dont l'aîné Jules Gaston EMAILLE, qui épousa Eugénie FAUQUETTE, ces deux derniers étant les grands-parents de Michelle PACHANY et de Dominique ARNOUL.

Quant au château dont il est question, il s'agit vraisemblablement du domaine d’Embayonne au Vernet, en Ariège. Près de château se trouve actuellement le mémorial du Camp d'internement du Vernet.


Vue des vestiges du camp du Vernet dans les années 1980, au fond le château d'Embayonne.
Photo M. Gallardo

 
Pour plus d'informations sur ce camp, voir ici.

Le château d'Embayonne à Vernet (Ariège)
Ce château, est en fait une grande maison de maître avec un escalier dans une tour située sur la façade arrière.

L’Express du Midi du 5 octobre 1924

Cet article paru 60 ans après dans l'Express du Midi récapitule les différents épisodes de cette affaire judiciaire pas banale.

SOUVENIRS ET VIEUX PAPIERS : LÉOTARD CONTRE SILVIA

Au moment où le Palais de Justice ouvre ses portes, nous, nous ouvrons un ancien dossier qui sommeille depuis soixante ans. On ne peut en secouer la poussière sans réveiller les querelles, les inimitiés, les dissentiments qui contribuèrent à l'enfler, à le grossir démesurément.

D'ailleurs la notoriété des parties, la renommée et le talent des défenseurs, sans parler du prestige des magistrats, tout cela devait transformer une simple cause civile, un petit conflit de vie conjugale en drame judiciaire, qui serait aujourd'hui, projeté sur l'écran lumineux.

Mais il est temps de laisser parler les faits.

Au mois de janvier 1862, le gymnasiarque Jules Léotard, neveu du grand artiste, rencontrait à Londres la signora Silvia Bernini, actrice en renom, originaire de l'ancien grand-duché de Toscane.
Six mois après cette rencontre, le 28 juillet, un prêtre catholique du district d'Irlington bénissait le mariage de l'acrobate et de la diva : un officier de l'état civil anglais constatait cette union sur un registre public.

Après que ces formalités eurent été observées, les époux Léotard, père et mère, venus à Londres pour s'opposer au mariage, revinrent à Toulouse.
 "- Je te déshérite !" avait crié le papa à son fils. Quant à la maman, elle se contentait d'envoyer à sa bru toutes les malédictions du répertoire, souhaitant sa mort prochaine.

Silvia Bernini, qui n'était pas une ingénue, encore moins une débutante, avait séché les yeux de son mari en l'assurant qu'en Italie, ils trouveraient une famille qui remplacerait avec avantage celle qu'il perdait. En effet, elle possédait une sœur, des cousins à profusion et un enfant qui n'était pas né d'un premier mariage.

De Turin, le jeune couple se rendit à Levane ; il accepta en cours de route de très nombreuses invitations, mais, comme il fallait vivre d'une façon à peu près stable et régulière, il fut décidé qu'on rentrerait en France. Les nouveaux mariés se fixèrent dans l'Ariège et Jules Léotard acheta une propriété dans la rue du Vernet. Là, il présenta sa femme à tous ses parents et amis.
Dès qu'il eut atteint sa 25e année, il fit prévenir son père de l'intention qu'il avait de lui faire signifier des actes respectueux. Léotard père, qui jusque-là s'était tenu à l'écart, se rapprocha de son fils et alla en octobre 1863 vivre en commun ménage à Madrid avec les deux époux.
À Madrid, à Lisbonne, à Turin, à Lyon, le père se montrait à côté de son fils et de la brune Silvia. Mais entre ces artistes la bonne harmonie ne devait pas durer longtemps. 
Au mois de juin 1864, Léotard alla à Paris pour des représentations ; il laissa sa femme sur la propriété ariégeoise, à Embayonne, où elle devait demeurer quelques jours avant de regagner Turin.
La correspondance très affectueuse endormait toutes les méfiances ; aussi quelle ne fut pas la stupeur de l'Italienne de trouver à Turin une lettre d'un sieur Pascaut, directeur de gymnase, qui lui déclarait que tout était fini entre Jules Léotard et elle.
Demander des explications à son mari par le télégraphe et, ne recevant pas de réponse, partir pour Paris à l'instant, telle fut la conduite de cette femme justement courroucée.
Le 3 juillet au matin, elle entrait dans l’appartement de la famille Léotard, avenue des Champs-Élysées, mais le sieur Pascaut, en bon chien de garde, se chargea de la chasser violemment en la bousculant dans l'escalier.
Après cette scène, Silvia, égarée, à moitié folle, se réfugia dans un hôtel meublé, revêtit, pour ne pas être reconnue, les habits d'une servante, coupa ses beaux cheveux pour les envoyer à son mari. Ces préparatifs terminés, elle alla se jeter dans la Seine : après de pénibles efforts, des mariniers réussirent à la sauver. Retirée mourante du fleuve, elle fut transportée dans la maison de santé du docteur Pinel.
Après une longue convalescence, sur le refus de son époux de la recevoir, Silvia Bernini introduisait contre lui une action en séparation de corps, et ce dernier répondait en demandant la nullité du mariage.
Dès la première audience, présidée par M. Mestre, qui avait attiré au Palais de Justice de Toulouse une affluence considérable, les Léotard, père et mère, demandèrent d'intervenir dans le débat afin d'adhérer complètement au système et aux conclusions de leur fils, revenu, enfin, à leur tendresse.
La cause de Silvia Bernini était dans de bonnes mains : Maître Tournayre en fut chargé ; il soutint, avec sa grande science juridique, que Léotard, père et fils, étaient irrecevables à demander la nullité du mariage contracté en Angleterre.

Ils auraient dû, aux termes de la loi, introduire leur action, le fils, dans l'année de sa majorité de vingt-cinq ans ; le père, dans l'année à partir du jour où il avait connu cette union.
D'ailleurs, tous les vices légaux dont pouvait être entaché le mariage à l'origine avaient été couverts par une possession d'état éclatante et avérée.

L'orateur repoussait avec énergie les imputations de cupidité et d'inconduite dirigées par les adversaires contre sa cliente qui n'avait dissimulé aucune particularité de sa vie passée.
Maître Albert, avec son prestigieux talent, n'insista pas outre mesure sur le point de droit, se bornant à représenter Jules Léotard comme un jeune homme faible, inexpérimenté, qu'une aventurière avait soumis à ses caprices et retenu dans ses filets par son charme séducteur.
La famille avait dû se liguer par une « sainte conjuration pour arracher cet enfant aux griffes de ce démon italien. »

Pour soutenir sa thèse, Maître Albert versait aux débats une nombreuse correspondance, établissant que le père et la mère n'avaient jamais eu l'intention de ratifier le mariage anglais. 
« Mariage nul, car il fut clandestin, en fraude des lois françaises. »
Le substitut du procureur impérial Gaytou conclut, ainsi que vous l'avez pressenti, en faveur du système exposé par Silvia Bernini.

Les magistrats, en effet, n'aiment guère qu'après une cohabitation prolongée on vienne leur demander de briser des liens noués librement et que la justice doit protéger.
C'est avant le oui définitif qu'il faut s'enquérir de la conduite de l'épouse et, plus tard, on est mal fondé à arguer de faits qu’aucune manœuvre frauduleuse n’a cherché à masquer et à transformer.
Après de longs débats, le jugement du tribunal de Toulouse adopta les conclusions du ministère  public.  

Le mariage fut déclaré valable et la séparation de corps prononcée au profit de Silvia Bernini.
Cette dernière obtenait une provision annuelle de cinq mille francs.
Mieux que tous les commentaires, l'importance  de cette somme, en 1865, démontrait quelle était  la fortune des Léotard à cette époque...

De tous les acteurs de ces scènes de la vie privée, un seul a survécu, le fils du célèbre gymnasiarque qui aime à rappeler les succès paternels, succès que M. Jean Richepin évoquait, il y  a à peine quelques jours.

Le substitut Gaytou a terminé sa carrière sous la robe rouge de conseiller à la Cour d'appel, et ceux qui ont été reçus dans son superbe appartement de l'Hôtel Duranti, n'ont pas oublié son urbanité parfaite et la distinction de ses manières.

De l'illustre avocat Albert, nous ne dirons rien pour l'instant.

Quant au bâtonnier, Maître Tournayre, il se montra pendant un demi-siècle l'adversaire de justes noces, dans l'intimité, bien entendu. Modéré dans ses désirs, sage dans ses goûts il aimait à réunir chaque mois quelques-uns de ses confrères à sa table hospitalière. Il habitait « rue de la Baronnie » face des Galeries Parisiennes actuelles, le logis du premier étage. 

Un soir que le festin avait été plus réussi que d'habitude, ce qui était un vrai prodige, car la chère était exquise et que la conversation avait roulé sur quelques récents et tardifs mariages, Maître Rumeau lança à l'amphitryon cette flèche :

Toi, tu finiras par épouser ta cuisinière.
Et, Maître Piliorc, célibataire endurci et fin gourmet, tout en savourant le lièvre « à la royale » triomphe du cordon bleu Rosalie, de s'écrier avec un désespoir comique :
— Garde-t’en bien : qui la remplacerait ?
H. DE LA MARTINIERE

Le registre des femmes Galantes


Une visite au cœur des magasins sécurisés des archives de la préfecture de police : On y découvre que la police des mœurs du Second Empire a recensé dans « le registre des femmes galantes », photos à l’appui, toutes les prostituées y compris celles de luxe, car elles devaient déclarer leur activité.

On en apprend plus sur la vie de cette Sylvia Bernini en consultant ce registre des femmes où elle figure en bonne place à la page 93.


Paris (Paris, France) | 1859 - 1860 | Archives de la police - cote BB2 page 93

 Transcription :

Bernini Sérafina      
Âgée de 21 ans, maîtresse de langue italienne, native de Sienna (Toscane). C’est une escroqueuse, Mme Leblanc, marchande de robes, Mme Champiaux, Mme Vermandois, Mr Lebeau, marchand de meubles, sont au nombre de ses victimes.
Elle a demeuré successivement Rue Tronchet n° 11, rue de la Chaussée d’Antin n°48, rue de la Madeleine n°45 (Novembre 1858)
Elle serait entretenue par un Sr de Pène, âgé de 61 ans, demeurant Rue basse du Rempart n° 26 (mars 1850)
En mai, elle a, croit-on pour amant le nommé Léopold Uboldi.
On ne sait où elle se cache (Voir son dossier).

D'après la base de données collaborative Pierfit, le sieur de Pène est Achille de Pène, né en 1794, maitre des forges de Banca (Pyrénées Atlantique), affairiste à Paris, "mort en 1866 à Paris en laissant une situation débitrice que son fils accepta".

Serafina Bernini aurait-elle contribué aux dettes d'Achille de Pène ? Nous ne le saurons probablement jamais...

En conclusion

Toulouse, le 19 septembre 2019

Bonsoir,
L'affaire Jules Léotard-Serafina Silvia Bernini est un véritable roman qui me fait penser à "La Dame aux Camélias", "La Traviata" (la dévoyée), à la différence que dans l'affaire en question, c'est l'homme qui meurt prématurément, la dévoyée, elle, rafle la mise.

Je vous ai adressé hier le texte du jugement en séparation de corps du 6 février 1865. Serafina malgré son prénom, n'était pas un ange. En novembre 1858, elle était inscrite dans le Registre des Femmes Galantes (voir p.j.) (prostituées "ordinaires"  ou de luxe) et était qualifiée "d'escroqueuse" avec 4 victimes.

Dans le jugement, elle est qualifiée d'artiste. Elle a rencontré Jules en janvier 1862 et s'est mariée en juillet 1862. Qu'a-t-elle fait dans les années 1859, 1860 et 1861 ? Où, quand, comment est-elle devenue artiste? Mystère.

Jules devait être un peu naïf. Dans le Bulletin Municipal de Toulouse de février 1936, il est dit qu'un prétendu ami belge qui se disait fils naturel de Napoléon III, lui soutirait des sommes importantes.

Bien cordialement.

Alex Hérisson
 ---ooOoo---

J'ai essayé dans cet article de mettre de l'ordre dans ces différents documents et informations en en recherchant les sources, ceci afin de reconstituer le déroulement des faits. J'espère avoir réussi à vous intéresser par ce travail d'historien.

Le texte du jugement est un document manuscrit de 14 pages, dont il serait intéressant de faire la transcription. C'est assez lisible, mais cela représenterait un travail long et fastidieux.

Jean-Paul ARNOUL

Voir ici toute ma généalogie sur Généanet



Annexes

De nos jours, Jules Léotard fait encore parler de lui dans la presse...

La Dépêche du Midi du 24 septembre 2012

Toulouse.
Jules Léotard
, l'inventeur toulousain du trapèze volant réhabilité.

Jules Léotard en plein saut. Son père n'est jamais loin.
Photo DR
 
Il aura fallu bien des années pour que Jules Léotard, inventeur toulousain du trapèze volant dit de bâton à bâton, soit réhabilité. Après l'ouvrage, «L'exploit de Jules Léotard» en 2009 du créateur du Grand Cirque de Noël, Pierre Lartigue, c'est au tour de Michelle Pachany-Léotard, arrière-arrière-petite-fille de l'acrobate, de rendre hommage à son illustre aïeul lors d'une conférence à l'hôtel Dumay. «À l'époque, les trapézistes exerçaient sans filet et en solo. Artiste international, Jules Léotard a porté l'image de Toulouse aux quatre coins du monde : de Moscou à Turin en passant par Berlin ou Barcelone». La Ville rose lui a d'ailleurs depuis peu, dédié une rue à la Côte Pavée.

Un artiste moderne «coaché» par son père Jean : «Le tandem a magnifiquement fonctionné jusqu'à la mort de Jules le 16 août 1870 foudroyé par la variole noire». C'est Jean qui dirige l'installation du fameux triple portique réglé au centimètre près et qui fait du spectacle un vrai ballet aérien autour des sauts sans cesse plus périlleux et novateurs de Jules. «Dix minutes de frisson intense». Jules Léotard, acrobate hors pair, savait tenir le spectateur en haleine. Il savait aussi profiter des inventions balbutiantes de son époque comme la photographie : «On trouvait des poses de Jules chez tous les libraires». Des airs de polka lui sont dédiés et des dessins dans les journaux satiriques de l'époque le caricaturent.

Si Jules Léotard a fait beaucoup rêver le public, il a aussi beaucoup inspiré les artistes : L'écrivain Théophile Gaultier le comparait à un oiseau volant, tandis que le grand Claude Nougaro lui a écrit quelques jolies strophes musicales. Jusqu'à la star internationale, Bruce Springsteen, qui a repris la chanson écrite en 1 867 par le chansonnier britannique Georges Leybourne, devenue «The daring man in the flying trapèze» (l'audacieux jeune homme au trapèze volant). «Cette vie d'artiste faisait désordre dans la famille. C'est mon père ému, qui a réhabilité Jules. Je poursuis cette mission». Aujourd'hui, le trapèze volant, devenu discipline phare avec le domptage, reste la vedette de la Grainerie à Toulouse. Un lieu emblématique pour les agrès.
Silvana Grasso


Publié le 22 Août 2015 [Insolite]

Jules Léotard, ce Toulousain inventeur du trapèze
Jules Léotard, né à Toulouse en 1838 est devenu une vedette internationale en popularisant le trapèze sous le Second empire.

12 novembre 1859 au Cirque Napoléon* à Paris. Un Toulousain de 21 ans présente Les Merveilles Gymnastiques ou La Course aux Trapèzes. Un spectacle de voltige de trapèze en trapèze (il y en avait trois sous la coupole du cirque) entremêlé de sauts périlleux aériens. L’exploit est retentissant. L’assistance applaudit à tout rompre.

Et rapidement le bouche à oreille fait son effet. Le Tout-Paris se bouscule pour voir Jules Léotard. Napoléon III et l’Impératrice Eugénie assistent à l’avant-dernière représentation. Les journaux parisiens saluent le numéro de l’intrépide gymnasiarque. Et Théophile Gauthier n’hésite pas dans Le Journal de Toulouse à comparer le jeune trapéziste à un homme volant.

Il devient très riche
Louis Dejean, le directeur de la Société des Deux Cirques Parisiens (le Cirque Napoléon et le Cirque de l’Impératrice) tient sa vedette et fait prolonger son contrat d’un an pour la coquette somme de 36 000 francs. Des appointements équivalents aux ténors et supérieurs aux généraux et aux conseillers d’État !
Jules Léotard en justaucorps

Grisé par le succès, Jules Léotard refuse de porter le traditionnel uniforme des écuyers qui sied aux artistes du cirque et se retrouve en procès avec son directeur. Il estime que le frac noir à boutons dorés et le pantalon noir et blanc ne mettent pas suffisamment en valeur sa musculature.

« Il adopte alors un justaucorps de soie noire dont les échancrures laissent apercevoir les saillies de sa poitrine, une tenue qui plaît beaucoup à ses nombreuses admiratrices qui lui envoient de nombreux courriers enflammés », confie Michèle Pachany-Léotard, son arrière-arrière-petite-fille.
Les clichés « artistiques » de l’Apollon du Trapèze, photographié torse nu ou en position de danseur ou de lutteur par le photographe Paul-Émile Pesme, contribuent à sa médiatisation. Jugés indécents, ils sont confisqués par la justice.

Dans le même temps, Léotard subit aussi les « cancans » des mères parisiennes qui imaginent un mariage pour leurs filles avec cet audacieux fils de famille de province, possesseur d’une fortune de 20 000 livres de rente. Jean Léotard, qui gère la carrière et négocie les contrats de sa progéniture, possède deux gymnases courus de la Ville rose, l’un rue du Rempart Saint-Étienne et l’autre situé à l’angle du boulevard Napoléon et du chemin de la Poudrière (aujourd’hui boulevard de Strasbourg et rue de la Concorde).

Célèbre dans toute l’Europe
Jules Léotard quitte le Cirque Napoléon et part à l’assaut des capitales européennes. À Berlin, il subjugue la cour du Prince Frédéric de Prusse avant de se produire à Saint-Pétersbourg devant le Tsar Alexandre II ou à Turin devant le Roi Victor Emmanuel.

À Londres, il est engagé au Royal Cremorne Gardens de Chelsea où il travaille pour la première fois avec cinq trapèzes, devant un Charles Dickens conquis. À l’Alhambra Palace, ses représentations attirent chaque soir près de 6 000 personnes. Lors d’un nouveau séjour londonien, il tombe amoureux de Sylvia Bernini, actrice dramatique italienne qu’il épouse sans le consentement de ses parents en juillet 1862. L’engouement pour le jeune artiste est tel outre-Manche que de nombreuses chansons sont composées en son honneur. En 1867, The Daring Young Man on the Flying Trapèze (L’audacieux jeune homme au trapèze volant) de George Leybourne devient un succès populaire. L’année suivante, il traverse très brièvement l’Atlantique afin de se rendre à l’Academy of Music de New York.

Parmi les premiers coureurs cyclistes
Entre deux tournées, Jules Léotard se repose dans la propriété familiale du Vernet en Ariège où il pratique le vélocipède. Adepte assidu et compétiteur dans l’âme, il remporte en mars 1870 la course Villefranche de Lauragais-Toulouse-Villefranche avant de décéder quelques mois plus tard à 32 ans, emporté par la variole noire.

Toulouse lui rend hommage par une plaque inaugurée par Anne Crayssac, adjointe au maire de Toulouse et portant l’inscription : « Jules Léotard, né à Toulouse en 1838, mort à Toulouse en 1870, inventeur du trapèze volant ».
Mathieu Arnal, auteur de "Ces Toulousains qui ont fait l'histoire"
*Le Cirque Napoléon devenu le Cirque d’Hiver Bouglione.